L’argent n’a pas de patrie », se plaisait à dire Napoléon. Il en voulait à l’ascendant qu’avaient les banquiers sur les affaires de l’État alors que la France peinait à financer ses guerres européennes. François Legault aurait pu dire la même chose au sortir de sa rencontre avec l’Ontarien Doug Ford : le coup porté à l’Ontario français valait bien une remontrance, mais sûrement pas des milliards de dollars d’exportation d’électricité. Sa réaction en témoigne, en plus d’être une leçon de realpolitik.
Un texte d’Alex Boissonneault, correspondant à l’Assemblée nationale
Déjà, la sortie du premier ministre du Québec avait été plutôt timorée lorsqu’il a appris la nouvelle la semaine dernière : « Je souhaite que le français soit protégé en Ontario…autant que possible », avait dit François Legault. Il a promis d’aborder la question lors de sa première rencontre avec son homologue de l’Ontario, mais visiblement, ce n’était pas de gaieté de coeur.
Le chef caquiste se faisait une autre idée de son premier voyage officiel à Toronto. Il s’imaginait chanter Taking Care of Business avec un partenaire idéal, un homme d’affaires devenu politicien comme lui. Or, le voilà plutôt rattrapé par Gens du pays, qui pour la première fois depuis longtemps brise son élan au lieu de lui en donner.
Jusqu’à maintenant, le nationalisme avait bien servi François Legault, qui ne s’est pas gêné pour parler de fierté nationale afin de ravir des circonscriptions francophones aux libéraux ou aux péquistes en campagne électorale.
Cette fois, cette même fierté a un prix, puisque défendre « les frères » de la nation, pour paraphraser Honoré Mercier, peut froisser un partenaire d’affaires.
L’arbre
Inutile de dire que la pression était grande, d’abord parce que le coup porté à l’Ontario français est grand. Non content de couper court aux espoirs que nourrissaient les Franco-Ontariens depuis 20 ans de se doter d’un premier établissement universitaire français, Doug Ford a cru bon d’éliminer du même souffle le chien de garde des droits des francophones, soit le Commissariat aux services en français.
Tous les partis représentés à l’Assemblée nationale ont vertement dénoncé les choix du gouvernement ontarien, alors que le Québec compte trois universités unilingues anglaises et un Secrétariat aux relations avec les Québécois d’expression anglaise.
Le maire de Québec a parlé d’un « geste mesquin », la mairesse de Montréal en a appelé à la solidarité avec l’Ontario français, et la société civile s’est aussi fortement exprimée, tant au Québec qu’en Ontario.
L’écorce
De l’autre côté, il y a l’argent. Beaucoup de gains potentiels à réaliser avec un premier ministre qui a lui aussi fait de l’économie son cheval de bataille.
L’Ontario s’apprête surtout à payer 20 milliards de dollars pour rénover ses centrales nucléaires, alors que le Québec a de l’électricité à ne plus savoir qu’en faire.
Or, il n’y a pas que l’électricité : le Québec exporte vers l’Ontario à hauteur 40 milliards de dollars par année. Au sortir de leur rencontre, les premiers ministres se sont entendus pour faire passer ce chiffre à 50 milliards dans les prochaines années.
Choisir l’argent
« Je lui ai exprimé ma déception », a laissé tomber François Legault, en ajoutant cependant qu’il était « très, très content de la rencontre avec un homme d’affaires qui comprend que plus il y a d’échanges, mieux c’est pour les deux provinces ».
Pourtant, de son propre aveu, Doug Ford lui a gentiment demandé de se mêler de ce qui le regarde lorsqu’il a évoqué le sort de l’Ontario français. Pire, Doug Ford aurait même comparé les francophones aux Chinois pour justifier sa décision, de quoi survolter tout défenseur du fait français en Amérique.
Que penser? Peut-être que 10, 20 ou 30 milliards de dollars… c’est quand même beaucoup, beaucoup d’argent pour la nation québécoise.
Radio Canada